La Gordini type 18S de 1950

Estimée entre 800 00 et 1 600 000 euros, cette Gordini type 18s sera mise aux enchères lors de la vente Artcurial à rétromobile, le 18 mars 2022. Mais revenons sur son histoire particulière…

Le 24 juin 1950, 200 000 spectateurs attendent avec impatience le départ des 24h du Mans prévu à 16h. Le préfet abaisse alors le drapeau tricolore et les pilotes s’élancent vers leurs voitures.  Juan Manuel Fangio, en costume marron, traverse la piste en courant et s’installe dans le siège baquet bleu marine de la Gordini n°33. C’est le départ pour cette course fabuleuse. 

Quelque temps auparavant, l’annonce de l’organisation du premier Championnat du monde des pilotes de Formule 1 met au travail les bureaux d’étude. La réglementation autorise les moteurs atmosphériques de 4 500 cm3 ou suralimentés de 1 500 cm3 maximum. Amédée Gordini et son équipe conçoivent deux moteurs : un 12 cylindres en V de 4,5 l type 45G et un 4 cylindres en ligne de 1,5 l, type 15C à compresseur et culasse hémisphérique ; le bloc moteur est en alliage léger avec un vilebrequin à cinq paliers, un arbre à cames latéral, de petits culbuteurs, un carter sec.

L’atelier Gordini installé dans le 15ème arrondissement de Paris, rassemble 45 personnes. L’équipe est financée uniquement par les primes d’engagement et d’arrivée, les sponsors et les mécènes. Simca, le principal sponsor de Gordini, refuse les deux moteurs proposés. Cependant le V12 Gordini 45G, sera fabriqué à cinq exemplaires sous le nom d’Osca. Gordini engage deux monoplaces dotée du moteur type 15c lors du Grand Prix de Monaco. Au vue de ce passage en force, Simca ne renouvellera pas son sponsoring en septembre 1950. 

En mai 1950, Amédée Gordini révèle à la presse que Juan Manuel Fangio, auréolé de ses récentes victoires aux Grand Prix de Pau (Maserati) et San Remo (Alfa Romeo), et José Froilán González participeront aux 24 h du Mans avec la nouvelle Gordini. La nouvelle fait sensation !

La nouvelle Gordini 18 S

La Gordini 18s est fabriquée à deux exemplaires. Les châssis tubulaires, numérotés 020 et 021, sont équipés d’une suspension Dubonnet type 15 à l’avant et de celle des Formule 1 types 45G et 16, à barres de torsion à l’arrière. Dessinée et réalisée chez Gordini, la carrosserie est très originale, entièrement réalisée en duralumin et très soignée sur le plan aérodynamique. La totalité du soubassement est caréné et la carrosserie intègre, sans doute pour la première fois, le volume des ailes arrière à l’intérieur de l’habitacle tandis que les larges montants de portes se fondent dans les galbes de la carrosserie. La lunette arrière en Plexiglass, qui provient d’éléments de l’habitacle d’un hélicoptère Djinn, a été modifiée pour une parfaite adaptation. Afin que le pilote soit positionné le plus au centre de l’auto, son siège est déporté contre le tunnel de l’arbre de transmission ; la goulotte du réservoir d’huile du moteur est logée entre le tunnel central et le siège passager, positionné contre la portière droite. Avec un empattement très court de 2,22 m et une longueur de 3,61 m, la berlinette est d’une maniabilité diabolique. Elle ne pèse que 550 kg, ce qui est une bonne nouvelle compte-tenu de la corpulence de Gonzalez, annoncée pour 102 kg !
Le moteur type 15C de 1 491 cm3 est équipé d’un compresseur Wade RO15 en magnésium et est assimilé à un 2 982 cm3 atmosphérique. Le châssis n°020S (S pour Sport), qui reçoit le moteur n°16, sera confié à Juan Manuel Fangio et José Froilán González (numéro 33) et le 021S, qui est équipé du moteur n°18, est destiné à Maurice Trintignant et Robert Manzon (numéro 32).

Le Grand Prix de Monaco est la course d’essai des moteurs types 15c mais malheureusement les Gordini sont impliqués dans un immense carambolage dès le premier tour provoqué par le tête à queue de l’Alfetta de Farina. Les sept monoplaces qui suivaient Nino Farina ont dû abandonner la course. La victoire revient à Fangio. 

Il n’y a pas eu d’autres essais avant les 24h du Mans mais Fangio est complètement séduit par l’idée de rouler aux Mans.

“C’est merveilleux. Je n’ai jamais vu, même en Amérique, des installations aussi somptueuses pour une course automobile. J’aurais vraiment regretté de ne pas participer à une course de si grande envergure  » déclare le champion argentin (France-Soir du 23 juin). 

Le moteur type 15c a une puissance diminuée à cause de la réglementation de l’ACO imposant l’utilisation de carburant du commerce avec un indice 80. Fangio atteint tout de même les 235 km/h avec la berlinette. Le samedi 24 juin à 13h, la Gordini 18s est remplie de 95 litres d’essence sous le contrôle du commissaire sportif. Dès 15h, les voitures sont stationnés en épis devant les stands et selon le numéro de course correspondant à l’importance de la cylindrée par écurie. Les spectateurs devant toutes ces voitures. À 15h59, les pilotes se positionnent face à leurs voitures. Une minute après, le drapeau s’abaisse et les pilotes traversent en courant vers leurs autos. Fangio saute dans le siège baquet bleu marine, met le contact de la main gauche tout en actionnant le démarreur de la main droite. Le moteur peine à démarrer. La Gordini 18s s’élance sur la piste en queue de peloton. En 1h, Fangio remonte à la 10e place, dans la 3ème heure il est à la 9ème place. 
Au cours de la 5h, Fangio s’arrête au stand et signale un dysfonctionnement de l’allumage au-dessus de 4800 tr/m. La cause est vite trouvée mais le règlement impose que ce soit le pilote et le mécanicien désigné qui effectue les réparations. 

La Gordini type 18S de 1950

Entre-temps la Gordini 18s de Gonzalès a son thermostat bloqué provoquant une surchauffe et son abandon. Au bout de 15 tours de perdus, il pourra reprendre la course. Mais au 95ème tour, Gonzalès retourne au stand avec un gros panache de fumée bleuté. Un ressort de soupape d’échappement s’est cassé et le piston s’est percé en écrasant la soupape. Le duo abandonne. La victoire revient à la Talbo-Lago de l’équipage Rosier.

Gordini a l’idée de commercialiser sa berlinette et repeint ses deux modèles en bleu foncé. Elles sont engagées en août 1951 lors du rallye Liège-Rome-Liège.  Le châssis 20S est alors propulsé par le moteur n°09 type 16 en alu et magnésium, à deux arbres à cames en tête. Alimenté par deux carburateurs Solex, il développe une puissance de 120 cv à 6 000 tr/mn. Les berlinettes sont équipées d’une boîte et d’un pont type 16 mais aussi d’une vitre coulissante en Plexiglass sur la porte droite, d’un lave-glace, d’essuie-glace supplémentaires (un à droite et un troisième fixé sur la gauche du pavillon), d’un tachymètre placé à droite du tableau de bord. Un réservoir de carburant de 60 litres remplace celui de 95 litres, permettant l’adaptation d’amortisseurs télescopiques à l’arrière. Jean Behra termine cette redoutable épreuve à la 11e place au général et 4e de la catégorie 1 500 cm3.

En 1952, les berlinettes sœurs sont équipées de deux prises d’air sur leur capot et d’un moteur type 18 à deux arbres à cames en tête et deux carburateurs horizontaux Weber. Alors que la 21 S est achetée par  » Charles Rinen  » (Henry de Clarence), la 20S reste dans l’Equipe Gordini avec le moteur n°24, type 18 de 130 cv à 6 500 tr/mn ; elle est équipée de freins à tambour de 280 mm en remplacement de ceux de 255 mm. A son volant, Maurice Trintignant remporte les Grand Prix de Roubaix et d’Agen et Jean Behra abandonne à la Coupe du Salon à Montlhéry, alors qu’il est en tête devant une Talbot 4,5 l et une Jaguar C 3,4 l. A la fin de l’année 1952, la 21 S est achetée par Dieu et la 20S, le 18 novembre, par le pilote Nîmois René Bourrely, mais elle reste engagée par l’Équipe Gordini. Repeinte en bleu ciel par Bourrely, elle remporte, en 1953, les courses de Nîmes et d’Aix-les-Bains et gagne sa catégorie à Montlhéry, Planfoy et Alger avec le même moteur type 18. L’année suivante, Bourrely remporte sa catégorie aux courses de côte de Planfoy, du Mont Revard et de La Faucille.

La berlinette est ensuite achetée par plusieurs personnes depuis 1955 et subit différentes transformations et réparations. En 1990 où Juan Manuel Fangio achète sa Gordini pour l’exposer dans un musée en Argentine. Mais un problème d’importation douanière fait que la Gordini revient en Europe notamment chez son neveu en Italie. Elle est rachetée successivement par différents garages et particuliers qui lui font une importante réfection du moteur. En 2009, le nouveau propriétaire lui remet d’authentiques tambours de frein de 280mm de 1952,des moyeux Rudge de 42, des ressorts avant de 204 mm et un nez de pont authentique en aluminium avec un couple conique d’origine de 11 x 40. Le propriétaire supprime du vernis et du goudron dans l’habitacle ainsi que certaines couches de peinture pour ne faire apparaître que celle de 1956 et, à certains endroits, celles de 1950 et 1951.

Sur les deux modèles de Gordini Sport équipé d’un moteur à compresseur c’est la seul a être dans un état d’origine exceptionnel. L’autre a été accidentée et carrossée dans un style différent de celui d’origine. Cette voiture fait partie de la Collection Schlumpf et est exposée à la Cité de l’Automobile à Mulhouse.